Par Stéphane Renard Fine Art
Cette frise néo-classique, exécutée avec une immense minutie à la plume et à l’encre, est un témoignage émouvant et rare de l’activité d’un paysagiste franc-comtois extrêmement doué et particulièrement méconnu, Jean-Pierre Péquignot.
Alors que seulement une vingtaine de peintures et quelques rares dessins lui sont aujourd’hui attribués, Péquignot est surtout connu pour son amitié avec le peintre Anne-Louis Girodet de Roucy-Trioson qu’il rencontre à Rome en 1790 et avec qui il fuit à Naples en 1793. Cette amitié aura une grande influence sur l’art de Girodet puisque Péquignot l’initie à la peinture de paysage ; mais nous verrons également que certains portraits napolitains dessinés par Girodet sont d’une facture assez atypique pour cet artiste qui se révèle être proche de celle de notre dessin, suggérant une influence de Péquignot sur l’ensemble des œuvres datant de sa période napolitaine.
Resté à Naples après le départ de ...
... Girodet pour Venise en 1794, Péquignot sombre progressivement dans la misère et l’alcoolisme et meurt abandonné de tous à Sorrente vers 1807 – un vrai destin d’artiste romantique !
1. Jean-Pierre Péquignot, une vie d’artiste illuminée par sa rencontre avec Girodet
Fils d’un maréchal-ferrand de Baume-les-Dames, Jean-Pierre Péquignot est, dès l’âge de dix ans, formé avec son frère Antoine (qui deviendra sculpteur) à l’Académie de Peinture et de Sculpture de Besançon, puis entre 1780 et 1785 à l’Institution Pawlet, également appelée Ecole des orphelins militaires grâce à laquelle ils peuvent suivre des cours de dessin à l’Académie Royale.
Jean-Pierre Péquignot serait alors passé par l’atelier de David avant de partir pour Rome en 1788 où il se lie d’amitié avec Anne-Louis Girodet de Roucy-Trioson, prix de Rome en 1789, qui s’y installe en 1790. Péquignot fait alors découvrir à Girodet la peinture de paysage et ils parcourent souvent ensemble la campagne romaine. Le 13 janvier 1793 une émeute populaire romaine dirigée contre les sentiments pro-révolutionnaires des pensionnaires et dirigeants de l’Académie de France à Rome entraîne sa fermeture et oblige Péquignot et Girodet à s’enfuir tous les deux à Naples. Cest là que Péquignot fait la connaissance du fermier général Louis-Adrien Prévost d’Arlincourt qui l’engage comme professeur de dessin et l’emmène de mars à juillet 1793 visiter la Sicile et Malte.
Revenu à Naples, Péquignot retrouve Girodet et ils arpentent ensemble les sites de la baie de Naples jusqu’au départ de Girodet pour Venise en mars 1794. Resté seul à Naples, Péquignot bénéficie dans un premier temps de la protection d’un Suisse au service des rois de Naples, Carl-Ludwig-Sébastien Tschudi, avant de tomber progressivement dans l’alcoolisme et la misère. Il meurt dans le plus grand dénuement à Sorrente, vraisemblablement en 1807.
2. Description du dessin et œuvres en rapport
Le corpus des œuvres de Péquignot connues à ce jour frappe par sa modestie, qui contraste avec l’immense qualité des productions de cet artiste : à côté d’une vingtaine de tableaux connus dont un seul figure de façon certaine dans les collections nationales (au Musée des Beaux-Arts et d’Archéologie de Besançon) , nous n’avons à ce stade identifié qu’un seul dessin de l’artiste dans des collections publiques (au Nationalmuseum de Stockholm). La dernière œuvre de l’artiste passée en vente, le Paysage avec Orphée et Eurydice (9ème photo de la galerie), témoigne pourtant de son extrême raffinement pictural.
Dans ce contexte, il n’est pas surprenant que nous n’ayons pas retrouvé d’œuvre en rapport direct avec la frise que nous proposons et dans laquelle deux femmes sont représentées dos à dos, chacune assise de profil et accompagnée d’un piédestal qui rythme la composition et renvoie à leurs activités respectives. Cette représentation dos à dos suggère qu’il s’agit d’une étude de deux personnages qui n’ont pas forcément de rapport l’un avec l’autre.
Sur l’extrême gauche, nous trouvons tout d’abord un autel fumant devant lequel se tient celle qui nous semble être une vestale, le corps drapé dans une vaste toge dont les moindres plis sont représentés avec une précision minutieuse.
A droite de la Vestale, derrière une demi-colonne qui supporte une nature morte composée d’objets – échantillons de tissus et vase précieux - disposés dans un grand panier, une jeune femme également assise est représentée dans la position classique de la Parque Cloton : les bras levés vers le ciel, elle semble tirer vers elle un fil dont l’extrémité est enroulée autour d’une quenouille posée à ses pieds.
Le costume de Cloton, constitué d’une robe assez près du corps aux plis très serrés et d’un bandeau dans ses cheveux, la nature morte posée sur le piédestal évoquent l’atmosphère du groupe de femmes de Brutus, premier Consul, de retour en sa maison après avoir condamné ses deux fils (11ème photo de la galerie), le célèbre tableau de David composé en 1789 et nous amène à proposer une datation de notre dessin autour de 1790, peu de temps après l’arrivée de l’artiste à Rome.
A l’instar du dessin conservé au Nationalmuseum (10ème photo de la galerie), notre dessin nous frappe par l’extraordinaire précision avec laquelle sont dessinées ces deux figures féminines.
L’agrandissement du buste de la vestale présenté dans la galerie (4ème photo) permet de mieux appréhender la finesse incroyable des lignes tracées à la plume qui s’entrecroisent pour évoquer les plis du vêtement de la vestale et le traitement très particulier du visage, d’une technique que l’on pourrait presque qualifier de pointilliste avant l’heure !
Si l’influence de Péquignot sur l’intérêt développé par Girodet pendant son séjour italien pour les paysages est bien connue , il nous a paru intéressant de rapprocher la finesse de ce travail exécuté entièrement à la plume et à l’encre d’un très beau portrait de Girodet exécuté lui au crayon, que nous avons vendu en 2024. Bien qu’utilisant une technique différente, nous retrouvons le même travail éblouissant de tailles croisées et la modulation du visage par une infinité de petits points. Ce portrait (12ème photo de la galerie) qui date de la période napolitaine de Girodet (1793) révèle selon nous également l’influence de Péquignot sur son activité de portraitiste, influence qui permet à Girodet d’atteindre ici la précision d’un miniaturiste.
3. Encadrement
Nous avons choisi pour encadrer ce dessin un cadre italien du début du XIXème siècle en bois naturel finement sculpté qui complémente agréablement à la fois le côté néoclassique de ce dessin et fait écho à la finesse de son exécution.
Principale référence bibliographique :
Emilie Beck Saiello Jean-Pierre Péquignot Baume-les-Dames 1765 – Naples 1807 Editions Artema 2005
Conditions générales de livraison :
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