Par Stéphane Renard Fine Art
Nous remercions Madame Bozena Anna Kowalczyk de nous avoir confirmé l’attribution de ce dessin à Giuseppe Nogari dans une étude (disponible en italien) dont nous nous sommes directement inspirés pour rédiger la présentation ci-dessous.
Un homme d’âge mûr coiffé d'un turban pose calmement devant l'artiste. Son regard magnétique et rêveur est celui d'un sage. L’utilisation de la pierre noire et de la craie blanche permet de moduler délicatement son visage sur le papier bleu parfaitement conservé, et nous révèle des traits nobles et délicats : les lèvres doucement serrées, les pommettes hautes et la barbe blanche et duveteuse. L’artiste décrit soigneusement le raffinement du turban, suggérant sa matière précieuse et légère comme de la mousseline, et s'attarde sur les détails du costume oriental.
Les grandes qualités descriptives, la douceur du modelé et la finesse de l’analyse psychologique nous conduisent à Giuseppe Nogari, un peintre ...
... vénitien recherché par les collectionneurs de son temps et très estimé par les biographes contemporains pour ses têtes de caractère.
1. Giuseppe Nogari, « bon coloriste et excellent portraitiste »
Pietro Guarienti, peintre véronais et inspecteur de la Galerie royale de Dresde, commence ainsi sa longue notice sur l’artiste : "Gioseffo Nogari, célèbre peintre vénitien, a été à l'école d'Antonio Balestra, où, tant qu'il y a été, il n'a jamais donné de signes de ce style unique, tendre, moelleux et naturel, qu'il a ensuite développé". Il mentionne ensuite les faits les plus importants de sa carrière, à commencer par la rencontre avec le marquis Ottaviano Casnedi qui "ayant observé chez Nogari un certain esprit et une certaine grâce dans la réalisation des demi-figures, lui en commanda quelques-unes.... et lui donna quelques conseils utiles, dont il profita tellement, qu'en peu de temps, avec sa nouvelle manière singulière, il s'éleva à une réputation distinguée" .
Cette rencontre et le séjour à Milan, précisés par Alessandro Longhi dans son Compendium de 1762 , doivent être antérieurs de quelques années à l’année 1736, date à laquelle le comte Carl Gustaf Tessin (1695-1770) réussit à se procurer quatre tableaux de Nogari à Venise jugeant l'artiste, déjà établi dans ce genre de peinture, comme "admirable, exact, diligent, imitant la nature comme un flamand" . Ces tableaux destinés au Palais royal de Stockholm sont aujourd’hui aujourd'hui conservés au Musée national.
Guarienti rappelle également le séjour de Nogari à la cour de Turin, où le peintre a travaillé de 1740 à 1742, et la commande par Joseph Smith (c. 1674 -1770), consul de Sa Majesté britannique, de "diverses demi-figures d'excellent goût, naturellement exprimées et gracieusement colorées" ; il mentionne également Auguste III, roi de Pologne et électeur de Saxe, comme l'un de ses collectionneurs, à qui Francesco Algarotti a procuré quatre toiles de Nogari en 1743 qui sont aujourd’hui conservées à la Gemäldegalerie de Dresde.
L'artiste s'est consacré aux portraits à différents stades de sa carrière. Le premier portrait documenté est le Portrait équestre du maréchal Johann Matthias von der Schulenburg, exécuté en collaboration avec Francesco Simonini, enregistré le 5 mai 1737 dans les inventaires des militaires allemands au service de la Sérénissime, aujourd'hui dans une collection privée. Une gravure de Giovanni Cattini témoigne du beau Portrait de Francesco Zuccarelli, peintre toscan, en demi-longueur, probablement des années 1740 . Les deux portraits en pied traditionnels mentionnés par l’aristocrate vénitien Pietro Gradenigo dans ses Notatori le 31 août 1762, ont eux aujourd’hui disparu.
2. La présence ottomane à Venise
De la chute de Constantinople en 1453 jusqu'à la fin de la République, Venise a maintenu des contacts diplomatiques avec l'Empire ottoman. Ceux-ci étaient confiés à un bailo, un envoyé spécial choisi parmi les patriciens vénitiens.
Les Orientaux peuplent l'imaginaire des artistes vénitiens du XVIIIe siècle, stimulés par les estampes de Rembrandt et de Giovanni Benedetto Castiglione. Ce sont d'abord les deux Tiepolo qui proposent inlassablement divers types et costumes avec lesquels ils animent des scènes historiques et mythologiques, en se spécialisant dans l'invention de têtes d'hommes à turbans, en peinture comme et en gravure.
On trouve également quelques personnages orientaux dans des peintures de Nogari, comme celui représentant un géographe enturbanné, anciennement dans la collection Christian Ludwig von Hagedorn, connu grâce à l'estampe en mezzotinte de Johann Jakob Haid (1885,1212.13 - British Museum – London - 4ème image de la galerie).
A la différence de ce personnage allégorique, le dessin que nous proposons représente lui le portrait d'un dignitaire ottoman, vraisemblablement exécuté à Venise puisque Nogari ne s’est jamais rendu en Turquie, et non un personnage de fantaisie comme ceux imaginés par les Tiepolo.
3. Œuvres comparables
Rares sont les dessins attribués jusqu'à présent à Giuseppe Nogari. La plupart de ses dessins ont peut-être disparu en raison des difficultés de conservation de la technique utilisée, caractérisée par une couche superficielle fragile, comme l’illustre l’état de la Vieille femme au châle rayé du Museo Correr de Venise (5ème image de la galerie). Egalement réalisé sur papier bleu, ce dessin provient de la collection d'Alessandro Longhi, un élève de l'artiste. Le fusain et les craies de couleur sont doucement nuancés, mais le support a presque complètement perdu sa coloration d'origine et tend vers le gris, ce qui nuit au rendu naturaliste recherché par l'artiste pour ce type d'étude préparatoire. Le regard sévère est tourné vers le spectateur et la description insiste sur le rendu des joues creuses et des rides autour de la bouche.
D'une toute autre expressivité, le pastel conservé à la National Gallery of Art, Washington (1984.69.1 - dernière image de la galerie), représente une autre Femme âgée au châle rayé, "une personne spécifique reconnaissable dans d'autres œuvres" . Giuseppe Nogari, qui a également pratiqué cette technique , se compare ici à Rosalba Carriera en représentant un visage marqué par la vieillesse avec un réalisme extrême, obtenant un effet réaliste d'une grande élégance dans le rendu des différents matériaux : le châle de soie flamboyant, la douce bordure de fourrure, le tissu brun rugueux de la robe. Dans le regard magnétique qu'elle nous adresse, nous retrouvons celui de notre dignitaire ottoman, résultat de la même recherche visant à traduire l’expressivité du modèle à travers l'examen minutieux des détails.
4. Encadrement
Notre dessin est présenté dans un grand cadre italien en bois doré et sculpté du XVIIIème siècle qui accentue la majesté de ce portrait de dignitaire.
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