Par Cristina Ortega & Michel Dermigny
Arts de la Chine et du Japon
Kenka kiseru, kizerusutsu et tabako-ire, clan Takaoka, Japon, époque Edo
Ensemble japonais comprenant un kenka kiseru (pipe de combat) avec son étui kiseruzutsu et une tabatière rigide (tonkotsu) arborant le mon du clan Takaoka (blason familial).
Ces objets datent de l’époque Edo (1603–1868), début du 19ème siècle et combinent un usage fumeur et défensif.
Dès l’époque Edo, la pratique du tabac se répand au Japon, et le kiseru – fine pipe à tabac à petit fourneau, en métal et bambou – devient un accessoire prisé, parfois très ornementé, symbole de statut social. La plupart des kiseru mesurent entre 15 et 25 cm, mais certains modèles nettement plus longs et lourds apparaissent, souvent utilisés par des individus peu recommandables. Ces longues pipes servaient aussi bien à fumer qu’à se défendre lors de rixes improvisées. On les appelle kenka kiseru ou « pipes de combat ». Elles sont de véritables matraques de bronze ou de fer longue de 30 à 50 ...
... cm, leur poids et leur solidité en faisant des armes contondantes redoutables en cas de bagarre. À l’instar des tessen (éventails de fer) ou des truncheons naeshi, ces pipes servaient d’armes déguisées, tolérées en public car présentées comme de simples accessoires de fumeur.
Ces pipes de combat ont trouvé leur place dès l’époque des kabukimono – ces ronin et jeunes samouraïs excentriques du XVIIe siècle au comportement provocateur – et dans celle des machi-yakko, les milices urbaines de vigilance formées par les gens du peuple pour se défendre des abus des premiers. Les machi-yakko, souvent d’origine marchande ou artisanale, adoptaient volontiers le kenka kiseru comme arme de prédilection, puisque le port du sabre leur était interdit. En effet, dans le Japon Edo, seuls les samouraïs pouvaient circuler avec des armes blanches. Les otokodate (brigands d’honneur) de la classe marchande durent ruser en utilisant ces longues pipes en cas d’affrontements avec des samouraïs de bas rang ou autres malfrats. Ce contexte de tensions entre machi-yakko (serviteurs de la ville) et kabukimono violents est souvent cité comme l’une des origines de la yakuza (mafia japonaise). Ainsi, le kenka kiseru s’inscrit à la fois dans la culture des voyous d’Edo et des justiciers des quartiers populaires, occupant une place unique d’objet à la frontière du raffinement et de la violence.
Parallèlement, certains samouraïs adoptèrent eux aussi la pipe de combat dans des circonstances particulières. Lorsqu’ils devaient se passer de leurs sabres – par exemple lors de visites aux quartiers de plaisir Yoshiwara où les armes étaient prohibées – les samouraïs pouvaient dissimuler un lourd kiseru dans leur ceinture afin de parer à toute éventualité. Ces modèles destinés aux guerriers sont appelés buyokiseru(« pipe d’usage martial ») et sont souvent intégralement en métal, d’environ 41–45 cm de long. Aucun gardien ne s’inquiéterait d’une pipe à tabac, et en cas d’altercation, le samouraï désarmé pouvait brandir sa pipe comme un gourdin et assommer un assaillant sans entacher l’honneur de son sabre. Des écoles d’arts martiaux intègrent d’ailleurs des techniques secrètes de combat au kiseru (kiseru-jutsu), comparables à celles du tessenjutsu (éventail de guerre). Certains exemplaires de pipes de combat furent même munis d’une petite tsuba (garde) pour protéger la main, comme en témoignent des manuels anciens (école Kiraku-ry?).
Cette dualité d’usage entre fumer et se battre confère à la kenka kiseru une aura légendaire, maintes fois illustrée dans le folklore et le théâtre kabuki – pensons au bandit Ishikawa Goemon souvent représenté avec une énorme pipe torsadée, ou au héros Jiraiya brandissant son kiseru dans les estampes du XIXe siècle.
L’ensemble présenté se compose d’une grande pipe kenka-kiseru accompagnée de son étui (kiseruzutsu) et d’une tabatière rigide (tonkotsu) formant un ensemble coordonné. La pipe, entièrement réalisée en métal (fer) et bambou laqué noir mesure environ 31 cm de long pour un poids de 520 grammes – une taille inhabituelle approchant celle d’un tant? (poignard court). Ses deux extrémités, le fourneau (tête) et le bec (embouchure), sont épaisses et lourdes, aptes à encaisser des chocs violents. Le fût de la pipe est d’un diamètre conséquent pour assurer la rigidité ; il est lisse et brillant.
L’étui kiseruzutsu, taillé dans du bois, est ajusté aux dimensions généreuses de la pipe (39,5 x 5,3,x 6 cm avec une section ovale). Il présente une fine ornementation en laque or à reflets argentés, représentant des motifs végétaux stylisés en volutes sur toute sa surface. La fermeture est soulignée d’un large cerclage en laiton agrémenté d’un anneau.
Sur les deux côtés, apparaît le mon du clan Takaoka, un blason à trois feuilles de chêne stylisées dans un cercle, confirmant l’appartenance de cet ensemble à un membre de cette famille samouraï.
Le tonkotsu au décor assorti, à couvercle coulissant, permettait de stocker le tabac coupé fin (kizami) tout en protégeant son contenu grâce à sa rigidité. Un cordon passant dans deux œillets latéraux relie la tabatière au kiseruzutsu, l’ensemble pouvant être suspendu à la ceinture. (21 x 14 x 6 cm avec une section ovale)
Le cordon de soie tressée reliant l’étui à la tabatière, passe par un ojime coulissant qui sert à resserrer la suspension. Il reprend le même décor et mesure 4,7 cm de diamètre pour une épaisseur de 2 cm.
Le clan Takaoka est une ancienne famille samourai originaire de la province d’Hitachi puis rattachée aux seigneurs Uda-Genji à l’époque Edo. Ce Ka-mon Takaoka confère une valeur historique supplémentaire à l’ensemble, en le liant à une lignée prestigieuse et en suggérant qu’il a pu servir lors de déplacements officiels ou de cérémonies informelles où le port du sabre était proscrit
Les kenka kiseru de l’époque Edo sont aujourd’hui relativement rares et très recherchées des collectionneurs d’armes japonaises insolites. Leur nature hybride – à la fois objet pour fumeur et arme dissimulée – les rend fascinantes. Bien que de nombreux kiseru de taille standard (15–25 cm) soient conservées dans les musées, les exemplaires géants de 30–50 cm sont moins communs. Le Minneapolis Institute of Art conserve une pipe de combat en fer longue d’environ 41 cm et pesant plus de 675 g ; Cette pièce, décrite comme un objet « d’apparence délicate mais d’un poids surprenant », illustre bien le déséquilibre trompeur entre l’esthétique raffinée des kiseru et leur potentiel martial.
Un ensemble complet kizeru, ojime, tokutsu pour une pipe de combat est extrêmement rare. Le temps a souvent séparé les éléments quand ils n’ont pas été détruits.
On recense cependant quelques ensembles comparables dans les collections publiques et privées. Par exemple, le Spurlock Museum de l’Illinois conserve un tonkotsu en bois laqué avec son kiseruzutsu assorti (longueur 28,6 cm) datés du début du XIXe siècle. Bien que plus petit et léger, cet ensemble témoigne de la tradition d’avoir une pochette rigide coordonnée à l
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