Par Galerie Lamy Chabolle
Mobilier et objet d'art des XVIIIe, XIXe et XXe siècle
La Marchande d’eau-de-vie au corps de garde et L’Interrogatoire au corps-de-garde, par Pierre Duval Le Camus.
Huile sur toile.
1822.
55 x 47 cm.
Le livret du Salon de 1822 mentionne, aux numéros 440 et 441 : « La marchande d’eau-de-vie au corps de garde » et « L’interrogatoire au corps de garde », deux scènes faisant manifestement paire, alors exposées parmi neuf autres toiles de Pierre Duval Le Camus, peintre normand né en 1790, élève sous l’Empire de Claude Gautherot puis de David, qui expose pour la première fois au Salon de 1819.
Nous savons que ces deux scènes étaient pensées comme des pendants au Salon de 1822 — le second Salon auquel l’artiste participe, grâce à deux lithographies mentionnées la même année dans les Tablettes universelles : « Cette lithographie [La Marchande d’eau-de-vie au corps de garde], fait pendant à l’interrogatoire au corps de garde. Elle est due à M. Lecamus, à qui nous devons le joli tableau de la ...
... réprimande. » Le lien entre les deux scènes est souligné par de nombreux détails subtilement glissés par le peintre dans les deux tableaux. Le plus pittoresque de ces détails, c’est la carte — un cinq de cœur — que les gardes, sans doute, vêtus de leur uniforme impérial, ont négligemment laissé tomber après avoir joué pour tuer l’ennui durant leurs heures de garde. Que le même cinq de cœur jonche le sol de ces deux intérieurs suggère que ces deux scènes se déroulent dans une certaine unité de temps et de lieu.
Si les Tablettes universelles mentionnent La Réprimande, c’est que ce « joli tableau », également exposé au Salon de 1822 avec La Marchande et L’Interrogatoire, a valu beaucoup de célébrité de Duval Le Camus. La Réprimande est achetée dès 1822 par la duchesse de Berry, grande mécène, fille de François Ier des Deux Siciles et veuve de Charles-Ferdinand d’Artois, second fils de Charles X. L’année 1822 marque ainsi le début des faveurs princières dont jouit Duval le Camus sous la Restauration, et inaugure une carrière prestigieuse : en 1827, une autre scène de genre, exposée au Salon et récompensée d’une médaille de première classe, est acquise par Charles X ; une autre scène est achetée par Louis-Philippe en 1831, qui décore le peintre Chevalier de la Légion d’honneur en 1837, sans doute pour avoir fondé le Musée de peinture et de sculpture de Lisieux. Duval Le Camus continue d’exposer assidûment ses toiles aux Salons. Il expose, en 1845, aux côtés de son fils Jules-Alexandre, également peintre, son célèbre Pifferari donnant une leçon à son fils, aujourd’hui au Louvre. Baudelaire, dans son Salon de 1845, l’immortalise avec deux vers :
Duval Le Camus Père sait d’une voix légère
Passer du grave au doux, du plaisant au sévère.
La Marchande d’eau-de-vie au corps de garde et L’Interrogatoire au corps de garde, témoignent ainsi du goût pour la peinture de genre sous la Restauration, vaste domaine souvent éclipsé par les grandes compositions romantiques et la peinture d’histoire. Il s’agit aussi de toiles parmi les plus anciennes de Duval Le Camus qui soient conservées, empreintes d’une forme d’austérité presque septentrionale alors remarquablement proche des compositions de Martin Drolling, austérité qui s’adoucit, se réchauffe et s’émousse à mesure que le goût change et que le peintre gagne en maîtrise dans les décennies suivantes.
Une version de La Marchande d’eau-de-vie, signée, a paru chez Sotheby’s en 2006 avec une scène montrant La Partie de piquet de deux invalides. Cette version de La Marchande est donc passée pour celle exposée au Salon de 1822. Le pendant de La Marchande, c’est-à-dire L’Interrogatoire, n’était alors pas connu, remplacé par La Partie de piquet, et il était erronément suggérée qu’elle faisait pendant à La Marchande : dimensions similaires, même cadre et même cartel. Il est cependant impossible que ceux deux toiles aient jamais pu former une paire, puisque La Partie de piquet est antérieure de trois ans à La Marchande et qu’ils n’ont jamais été exposés ensemble au Salon. La vue de La Marchande est par ailleurs plus petite que la nôtre, et certains détails ont manifestement été coupés.
La présente paire, L’Interrogatoire et La Marchande, portent par ailleurs, au dos de la toile, le cachet de la maison Belot, au n° 3 « Rue de l’Arbre sec ». La maison Belot, fondée par Michel Belot en 1768, et qui fournissait des toiles aux peintres dans le premier quart du XIXe siècle, change de propriétaire en 1824, devenant « Vallé et Bourniche », toujours au 3, rue de l’Arbre Sec.
Tous ces éléments : le cachet Belot datant d’avant 1824, les détails coupés dans la version passée en vente chez Sotheby’s, et le fait même que les deux toiles aient été conservées ensemble telles qu’elles étaient exposées au Salon de 1822 ; ces éléments semblent attester qu’il s’agit bien là des toiles exposées au Salon de 1822, et qu’il s’agit, dans le cas de La Marchande passée en vente chez Sotheby’s, d’une réplique un peu plus tardive.
Les deux tableaux sont munis de cadres d’époque qui ont, au cours des siècles, subi des pertes importantes. Les toiles sont en parfait état.
Sources
Explication des ouvrages de peinture et dessins, sculpture, architecture et gravure des artistes vivans, exposés au Musée royal des Arts, le 24 avril 1822, Paris, 1822 ; Jean-Baptiste Gouriet, Tablettes universelles, Paris, 1822 ; Michaël Vottero, « Pierre Duval le Camus, peintre de genre », dans Les Duval Le Camus, peintres de père en fils, Saint-Cloud, 2010.
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