Par Galerie Magdeleine
Peintures et dessins du XVIIe au XIXe siècle
Charles Victoire Frédéric MOENCH
(Paris, 1784– 1867)
Portrait de Jean-Baptiste Isabey.
1808.
Huile sur toile.
Signé et daté “Munich fecit Roma 1808”.
H. 58 ; L. 47 cm.
Ce portrait en buste, peint en 1808 à Rome par l’artiste Charles Moench, prononcé « Munich », représente Jean-Baptiste Isabey (1767-1855), célèbre miniaturiste, décorateur et dessinateur officiel de l’Empire. La composition, d’une grande force psychologique, saisit le modèle de trois quarts, le visage encadré par un col spectaculaire montant jusqu’aux oreilles. Ce détail vestimentaire, qui fut comme une signature d’Isabey, rappelle son appartenance au cercle des Incroyables du Directoire et son goût marqué pour l’élégance et l’excentricité.
Sous une apparente sobriété, Charles Moench déploie une remarquable virtuosité : le rendu précis des sourcils, l’attention aux irrégularités de la peau, la tension dramatique des contrastes lumineux et l’intensité du ...
... regard confèrent au portrait une dimension réaliste et expressive. L’influence de Girodet, maître de Moench, s’y fait nettement sentir, tant dans la dramatisation de la scène, traduisant une inflexion romantique, que dans le raffinement du modelé.
Le tableau est signé au dos « C. Munich fecit », orthographe adoptée par l’artiste au début de sa carrière. Il opte par la suite pour « C. Moench », certainement pour se distinguer de son père, également artiste.
Charles Moench, un peintre polyvalent au service du pouvoir.
Issu d’une dynastie d’artistes, Charles Victoire Frédéric Moench, dit Munich, naît à Paris en 1764. Son père, Simon-Frédéric Moench, est l’un des plus brillants peintres décorateurs de son temps. Avant la Révolution, il reçoit de nombreux contrats pour l’Opéra et les grandes demeures aristocratiques, avant de devenir, sous l’Empire, l’ornemaniste favori de Napoléon. Dès 1805, il est chargé de commandes prestigieuses pour Fontainebleau, les Tuileries, le Louvre ou encore Saint-Cloud, épaulé par ses deux fils, Charles Victoire Frédéric et Pierre Auguste [1].
Charles Moench se distingue cependant rapidement par une carrière personnelle. Après un voyage en Italie[2], il expose au Salon de 1810 le Sacrifice de Polyxène, révélant son ambition de peintre d’histoire. En 1817, il obtient une médaille de seconde classe pour son Boréas.
Élève d’Anne-Louis Girodet, il bénéficie d’un enseignement complet qui lui vaut d’être sollicité pour des commandes officielles par Charles X, puis de devenir peintre-décorateur du duc d’Orléans, futur Louis-Philippe. Son talent s’exprime aussi bien dans les grands décors officiels que dans les sujets mythologiques – comme l’Allégorie de l’Aurore – ou dans le portrait, où il sut gagner la confiance de personnalités comme Alfred de Musset, qui lui commanda une représentation en pied.
Aujourd’hui, il est toujours possible d’admirer les décors de Charles Moench au musée du Louvre, dans la galerie Charles X (aussi nommée salle Clarac, située dans le département des antiquités égyptiennes), ainsi qu’au château de Fontainebleau, dans la salle des gardes et la galerie de Diane.
Moench et Isabey : une collaboration féconde
Les liens entre la famille Moench et Isabey apparaissent étroits. En 1807, Isabey est nommé décorateur de l’Opéra et des théâtres de cour, chargé des scènes de Fontainebleau, Compiègne et des Tuileries [3]. L’entreprise familiale des Moench, déjà active dans les décors de l’Opéra depuis 1803, poursuit alors sa collaboration sous la direction d’Isabey[4]. Cette proximité se prolonge à travers d’autres projets, tels que les Voyages pittoresques et romantiques dans l’ancienne France, auquel Moench père et Isabey participèrent conjointement, notamment lors d’un séjour commun en Normandie, à Graville.
Tout porte à croire qu’Isabey joua un rôle de soutien dans les débuts du fils de son camarade, il faisait partie du cercle rapproché de Girodet et figure reconnue de la scène artistique. Le portrait présenté ici, réalisé en 1808, apparaît comme un hommage à ce modèle de réussite. Son regard piquant et la profondeur psychologique qui font la singularité de ce portrait trahissent une certaine proximité entre l’artiste et son modèle. Et Isabey s’était lui-même représenté en caricature avec ce type de col montant, qui faisait sa signature stylistique, renforçant la dimension à la fois mondaine et personnelle de l’effigie.
Une rareté dans l’œuvre de Moench
Les portraits d’Isabey jeune demeurent rares. Le plus célèbre reste celui, en pied et accompagné de sa fille, peint par son ami François Gérard. Il a également été représenté dans la composition de Louis Léopold Boilly Réunion d’artistes dans l’atelier d’Isabey, une dizaine d’années avant la réalisation de notre portrait, en 1798.
Le tableau de Moench se distingue donc par son caractère exceptionnel, tant par le choix du modèle que par sa qualité picturale. Aujourd’hui, les œuvres de Moench sont peu présentes sur le marché, mais ses décors subsistent dans les plus grandes institutions françaises, du Louvre à Fontainebleau.
Ainsi, ce portrait, rare et magistral, incarne à la fois le talent d’un peintre qui mérite amplement de faire l’objet d’études plus approfondies et les liens complexes qu’entretenaient les artistes issus des ateliers les plus prestigieux de Paris au cours du XIXe siècle.
Références
[1] Vittet, J. (2021). Simon Frédéric Moench (1746-1837) le peintre décorateur de Napoléon. Un Palais Pour L’Empereur?: Napoléon Ier À Fontainebleau [Exposition, Château De Fontainebleau, 15 Sept. 2021-3 Janv. 2022].
Paris : Réunion des musées Nationaux, p. 184.
[2] Nouvelle biographie générale: depuis les temps les plus reculés jusqu'á nos jours, avec les renseignements bibliographiques et l'indication des sources à consulter. (1861). Paris: Firmin Didot frères, fils et cie, p. 737.
[3] Dumoulin, M. (1909, 26 décembre). J.B. Isabey. Paris : Le Temps.
[4] « Mémoire des ouvrages de peinture en décoration, menuiserie, serrurerie, & fourniture de toile, pour le théâtre du Palais Impérial & Royal des Tuileries, d’après les ordres de Monsieur de Rémurat, premier Chambellan & surintendant des Palais Impériaux & Royaux, & exécuté d’après les dessins de Monsieur Isabey dessinateur du cabinet de Sa Majesté Impériale & Royale. Par Moench peintre-décorateur de Sa Majesté l’Empereur & Roi, rue des Filles du Calvaire n° 21. »
(Cahier manuscrit, signé à Paris le 19 décembre 1808 par Isabey et le 31 janvier 1809 par le Comité consultatif des bâtiments de la Couronne).
[5] Nodier, C., Taylor, J., & De Cailleux, A. (1820). Voyages pittoresques et romantiques dans l’ancienne France (Vol. 1), p. 130.
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