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En 1688, Louis XIV amorce une première politique diplomatique qui amène à une série d’échanges intellectuels et artistiques entre la France et la Chine. Sous son règne se développe alors un goût français pour « lachine » ou « lachinage ». Cette attirance pour la Chine découle au XVIIIe siècle, sous les règnes de ses successeurs, sur ce que l’on appelle « la chinoiserie » qui reflète un goût pour l’Orient fantasmé et son exotisme. Ce goût suscite un attrait du collectionnisme pour ses ouvrages artistiques comme la porcelaine, la soierie mais aussi les laques.

Les meubles en laque de Chine : des modèles solides et imperméables

Le terme « laque » est employé au féminin lorsqu’il caractérise la matière première ; il est à l’inverse masculin lorsqu’il désigne un objet ou un meuble exécuté dans cette matière. La laque chinoise est issue de la résine récupérée par l’incision de l’écorce d’un arbre de la famille des toxicodendrons que l’on appelle le laquier, l’arbre à laque ou encore Rhus vernicifera ou verniciflua - nommé Qi en chinois ce qui signifie « arbre à vernis ».

Détail de la laque de Chine
Détail d’un panneau en laque de Chine, XVIIIème siècle, Chine, Reflets des Arts © Anticstore

La laque de Chine est appliquée en couches sur de fines feuilles de bois, semblables à nos feuilles de contreplaqué, que l’on laisse prendre entre chaque couche. C’est ainsi que se forme une couche solide, que l’on courbe par la chaleur à l’aide de moules puis que l’on sculpte pour en obtenir un relief, plus ou moins profond selon le rendu souhaité. Les vides sont alors remplis de couches de laque d’une couleur différente ou avec des matériaux comme la nacre, le coquillage pilé ou l’ivoire. La couleur est obtenue par le mélange de la laque à des pigments, ce qui lui donne une riche palette de couleurs : noir, jaune, blanc, rouge, brun et bleu. La laque adhère sur de nombreuses surfaces comme le bois, le bambou, les feuilles de palmier, le cuir ou encore le métal. La laque chinoise est l’une des plus solides et imperméable jamais créée par l’homme. Elle résiste aux insectes et garde en toutes conditions sa flexibilité.

L’époque 

On attribue généralement la conversion de la laque en ouvrage artistique au Japon. Il exact de dire que les japonais portèrent la matière à son plus haut niveau de qualité, mais c’est bien il y a plus de 3 000 ans que la laque prend ses racines en Chine et que sa technique s’étend peu à peu dans toute l’Asie du Sud-Est. Dès la dynastie des Zhou, son usage principal concerne le recouvrement des cercueils. On ignore à quelle époque apparaissent en Europe les premiers laques d’Extrême-Orient. Comme pour la céramique, la grande vogue des laques démarre vers la fin du XVIème siècle avec l’essor des Compagnies Hollandaises et Anglaises. Les premiers voyageurs européens s’enthousiasment ainsi pour leur éclat et leur solidité et les importent par bateaux entiers. Les produits importés de la Chine possèdent une influence immense sur la production artistique européenne, aussi bien dans le domaine des techniques que dans celui du mobilier. Sans aucun souci des symboles qu’ils représentent, les ébénistes s’inspirent alors des motifs orientaux dont ils apprécient l’originalité pour faire de nouveaux décors. En France, se développe le style des « chinoiseries » qui s’étend ensuite dans toute l’Europe.

Chinoiserie, vers 1785, XVIIIème siècle, Manufacture de Jouy © Photo Les Arts Décoratifs - Paris

Le mobilier en laque de Chine de forme européenne est à son apogée sous la seconde moitié du XVIIIème siècle et jusque dans les premières années du XIXème siècle. Les formes des tables à jeux, bonheurs-du-jour, armoires, bureaux, commodes et guéridons, sont alors copiés sur des modèles européens et les décors récupérés sur des paravents – réemployés en panneaux - ou réalisés à partir de dessins et de plans inspirés de livres ou de catalogues européens et anglais ramenés de Chine. Beaucoup de meubles d’époque présentent une rare élégance avec un décor or sur fond noir, mais leur construction est fragile et délicate : bois légers, pieds très fins, panneaux trop minces. Un très grand nombre de commodes Louis XV présentent en façade des panneaux chinois des premières années du XVIIIème siècle ornés de ramages de plantes diverses et notamment de pivoines entre lesquelles virevoltent des oiseaux. Aux compositions conçues le plus souvent verticalement, les panneaux se retrouvent parfois enchâssés horizontalement sur la façade des commodes Louis XV. C’est également ce genre de panneaux qui sont le plus souvent copiés par les vernisseurs parisiens.

Secrétaire en laque de Chine
François Rübestück attr. à, Petit secrétaire en laque de Chine, Epoque Louis XV, Galerie Berger © Anticstore

On fabrique différents sortes de laques au XVIIIème siècle en Chine : un laque rouge cinabre sculpté que l’on appelle laque de Pékin – qui semble avoir été réservé aux souverains et ne pas avoir été exporté en Europe – un laque incisé et coloré appelé laque cuir et un laque incrusté et gravé de nacre et de pierres dures variées ou laque burgauté, du nom d’un coquillage dénommé le burgau. Enfin, on décèle un dernier laque peint, plus rustique et provincial qui ne possède ni la qualité ni le raffinement des laques réalisés dans les fabriques impériales. C’est ce dernier laque qui est expédié en Europe et que l’on appelle « laque ou vernis de la Chine ». Très variée, la laque peinte résulte du dessin d’un motif décoratif avec une pointe sèche, repris avec des laques de couleur, pour en obtenir un léger relief qui souligne ou anime une scène. Les laques de couleurs, teintées de pigments végétaux sont extrêmement dures à avoir. On retrouve ainsi des laques d’or sur fond noir – appliqué en poudre très fines sur la laque - ou encore des laques de couleurs différentes pour les décors polychromes. Les plus fréquentes sont le vermillon et l’orpiment.

Commode en laque de Chine
Commode en laque de Chine, vers 1750, Epoque Louis XV, Antiquités Olivier Alberteau © Anticstore

On trouve enfin le laque dit de « Coromandel » désigné par le terme chinois « ke hui » qui signifie littéralement « cendre incisée ». En France, il est alors appelé « laque de Coromandel ». La technique, dite de Coromandel, consiste à la gravure de la surface acquise après tous les laquages, par un retrait de la matière à l’aide d’un crochet. Elle évite ainsi les risques d’écaillures, même microscopiques. Créées à partir du XVIIe siècle en Chine et rapidement exportées en Europe, son nom donné par les anglais est issu d’un comptoir de la Compagnie des Indes – sur la côte orientale de l’Inde - par lequel transitent les objets, réalisés en Chine, souvent de grands paravents. Ces laques sont principalement fabriqués au Hénan, au sud-ouest de Pékin. Ce sont des cabinets mais aussi et surtout d’immenses paravents de douze feuilles. Devenus sujets à l’exportation, un grand nombre sont d’ailleurs démembrés à leur arrivée en Europe et découpés en panneaux pour parer les commodes.

Enfin, entre 1740 et la fin du siècle, l’évolution des panneaux en laque de Chine est marquée, comme pour les laques du Japon, par une baisse visible de sa qualité.

Quelques ébénistes spécialisés dans les meubles en laque de Chine au XVIIIème siècle :

Jacques Dubois

Jacques Dubois (vers 1693-1763) – maîtrise obtenue le 5 septembre 1742 : Avec Bernard an Risen Burgh et Joseph Baumhauer, Jacques Dubois se présente comme l’un des plus grands ébénistes parisiens du règne de Louis XV. S’il gagne ses lettres de maîtrise à un âge déjà assez avancé, il réalise une très belle carrière depuis la rue de Charenton où il exerce. Il possède probablement son propre magasin de meubles, qu’il destine à une clientèle française mais aussi à l’exportation notamment en Russie. Il œuvre aussi sans doute pour des marchands-merciers comme le marchand et ébéniste Pierre Migeon. Sur plusieurs commodes et bureaux de Dubois, on retrouve ainsi l’estampille de Migeon près de celle plus dissimulée de l’ébéniste. Comme ses contemporains, Jacques Dubois réalise de nombreux meubles classiques de style Louis XV marqués par leur très belle qualité mais sans que l’ébéniste y laisse sa personnalité. A côté, il s’évertue à faire de réels chefs-d’œuvre dans un style qui lui est propre et que l’on surnomme aisément le « style Dubois », très proche du style rocaille de l’époque. Une place de choix est donnée aux bronzes dans les ouvrages de Dubois ; mais ils existent également pour souligner les panneaux sur lesquels ils s’inscrivent, en placage de bois de violette ou de rose, de satiné, en marqueterie de feuillages et de fleurs ou encore en laques de Chine, présents de manière fréquente, du Japon, ou en vernis européens dans le goût extrême-orientale.

Pierre Macret

Pierre Macret (1727-1796) – maîtrise obtenue en 1758 : Ebéniste du règne de Louis XV, Pierre Macret réalise et estampille de nombreuses commodes, encoignures, bureaux et coiffeuses depuis sa fabrique de la rue Saint-Nicolas. Il possède en parallèle un magasin rue Saint-Honoré, en face du passage de l’Académie de Musique. En 1756, il est pourvu d’un brevet de « marchand-ébéniste suivant la cour royalement privilégié » qui l’exempte des règlementations strictes de la jurande parisienne. De 1765 à 1771, il livre de nombreuses commandes pour les Menus-Plaisirs. Il va également fournir des marchands comme Lazare Duvaux. Ses ouvrages soignés se caractérisent par des placages de différents types ou marquetés de cubes, de fleurs ou de quadrillages. Quelques-uns de ses meubles se composent également de panneaux de laque de Chine ou du Japon, découpés parfois sans le souci des motifs représentés sur ces derniers. Parmi ses plus belles œuvres, il réalise notamment une très belle commode Louis XV au décor de paysages et de scènes animées en laque de Chine orné de bronzes rocaille. On relève également un écritoire oblique laqué rouge avec des chiffres dorés dans le goût de la Chine. Ces laques extrême-orientales se retrouvent sur quelques-uns de ses meubles réalisés dans le style Louis XVI. Enfin, des meubles uniques en tôle laquée dans le goût de la Chine construisent la renommée de l’ébéniste.

François Rübestück

François Rübestück (vers 1722-1785) – maîtrise obtenue le 7 mai 1766 : Né en Westphalie, c’est une brève carrière que réalise l’ébéniste François Rüberstück. Après une première période comme ouvrier libre dans le Faubourg Saint-Antoine, il s’installe rue de la Roquette puis rue de Charenton. Méticuleux et talentueux, il réalise une massive production adaptée à l’évolution des styles Louis XV puis Louis XVI. Son œuvre se caractérise par ses meubles en vernis européen à décor chinois, déployés en plein sur des formes simples. Ses décors représentent le plus souvent des paysages lacustres composés de pagodes, d’architectures diverses et de personnages. Les plus emblématiques s’inscrivent sur un fond blanc, aujourd’hui devenu jonquille ou camomille. Rüberstück réalise aussi des meubles à décors sur fond noir ou rouge.

Le mobilier en laque de Chine au XVIIIème siècle

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