Tapisserie de Bruxelles XVIIe siècle – Histoire de Cyrus le Grand

... foisonnante.

Le sujet : Cyrus le Grand dans la Bible
La scène représentée montre un homme barbu – très probablement un prophète (Esdras ou Isaïe) – présentant un parchemin au roi Cyrus, identifié par sa couronne. Le texte inscrit en latin fait référence à Isaïe 45, où Dieu s’adresse directement à Cyrus, roi des Perses, pour annoncer qu’il l’a choisi comme instrument de sa volonté divine, même s’il ne Le connaît pas. Cyrus est en effet présenté dans les textes bibliques comme celui qui permettra aux Juifs exilés à Babylone de retourner à Jérusalem et de rebâtir le Temple détruit en 586 av. J.-C.

Ce geste historique – attesté aussi par des sources extra-bibliques comme le Cylindre de Cyrus

– marque une rare reconnaissance d’un roi étranger comme "oint du Seigneur" (*"oint" signifiant "messie" en hébreu). Cette scène symbolise donc un moment fort de l’histoire du salut, une délivrance du peuple hébreu rendue possible par un païen inspiré de Dieu.

Un message religieux et politique
La présence du texte en latin – la langue de l’Église catholique – et le thème de la restauration de l’ordre divin par un souverain légitime sont significatifs du contexte de Contre-Réforme dans lequel cette tapisserie fut probablement tissée. En effet, au XVIIe siècle, l’Europe est traversée par de profondes divisions religieuses : catholiques et protestants s’affrontent tant sur le plan théologique que politique.

Dans ce climat, l’alliance entre pouvoir royal et volonté divine devient un thème central de l’iconographie catholique. Le roi Cyrus, bien qu’étranger à la foi hébraïque, est un modèle de souverain choisi par Dieu pour accomplir une mission divine. On peut donc voir dans cette tapisserie une allégorie du bon gouvernement, un éloge indirect du pouvoir monarchique européen, parfois même une flatterie politique adressée à un prince commanditaire.

La tapisserie bruxelloise : prestige et excellence
Bruxelles, au XVIIe siècle, était un centre majeur de production de tapisserie en Europe, rivalisant avec les ateliers de Paris, Florence ou Anvers. Soutenue par les Habsbourg d’Espagne, qui contrôlaient les Pays-Bas méridionaux, la production bruxelloise bénéficiait de commandes prestigieuses de la part de cours royales, d’évêques, de monastères ou de riches aristocrates.

Les ateliers bruxellois étaient réputés pour leur maîtrise des couleurs vives, la richesse des détails, la qualité des fils (laine, soie, or, argent), et surtout pour leur capacité à traduire en tapisserie les grands modèles picturaux de la Renaissance et du Baroque. Les cartons pouvaient être réalisés par des artistes célèbres, parfois italiens ou flamands.

La tapisserie que nous avons sous les yeux témoigne de cette maîtrise : on y remarque la profondeur du paysage, la diversité des costumes, la finesse des expressions des visages, et surtout l’habileté à raconter une histoire complexe de manière lisible et spectaculaire.

Interprétation et symbolisme
La tapisserie est bien plus qu’un simple objet décoratif. Dans les palais ou les églises, elle joue un rôle de manifeste visuel, destiné à enseigner, à impressionner, à glorifier. Ici, plusieurs niveaux de lecture s’entremêlent :

Historique : l’événement biblique du retour à Jérusalem.
Théologique : Dieu agit dans l’histoire humaine, même à travers des rois païens.
Politique : un message sur le bon usage du pouvoir royal, fondé sur la justice et l’obéissance à Dieu.
Esthétique : démonstration de richesse, de culture et de piété du commanditaire.
Conclusion
Cette tapisserie bruxelloise du XVIIe siècle, représentant Cyrus le Grand et le décret de libération du peuple hébreu, est un chef-d’œuvre de narration visuelle, où l’art textile devient un vecteur d’enseignement religieux et de légitimation politique. À travers l’exemple de Cyrus, elle rappelle qu’un roi, même extérieur à la foi, peut devenir le serviteur du dessein divin – un thème éminemment utile dans l’Europe monarchique et catholique du Grand Siècle.


Elle est aussi un précieux témoin du savoir-faire des ateliers bruxellois, qui ont su conjuguer inspiration biblique, richesse ornementale, et puissance symbolique, pour produire des œuvres qui traversent les siècles avec la même éloquence.