Par Galerie Lamy Chabolle
Mobilier et objet d'art des XVIIIe, XIXe et XXe siècle
Bois d’Artocarpus, cinabre, laque thitsi, feuille d’or.
Pégou (Birmanie).
Fin du XVIe siècle.
h. 38 cm.
La première étude systématique de la production à laquelle se rattache cette paire de bougeoirs a été menée par Bernardo Ferrão, qui a classé ce groupe comme indo-portugais. Ce rare et important ensemble de laques dits autrefois « luso-asiatiques » — une classification depuis contestée — a occupé une place significative dans l’historiographie des arts décoratifs portugais, sans qu’un consensus n’ait émergé sur son lieu de production. Ferrão soulignait comme traits distinctifs « le style et la décoration, le revêtement en laque, et dans certains cas, la présence de blasons, d’inscriptions en portugais, de figures et de scènes mythologiques issues de la culture européenne, tant chrétienne que classique […] le tout selon les canons de l’art de la Renaissance ». D’autres hypothèses ont situé cette production en Inde, notamment à ...
... Cochin ou sur la côte du Coromandel, hypothèses fondées sur l’utilisation supposée de bois d’anjili (Artocarpus hirsutus) ainsi que du commerce avéré de laque en provenance de Pégou vers l’Inde.
L’attribution de ces bougeoirs à Pégou, en Birmanie, repose quant à elle aujourd’hui sur des preuves matérielles plus solides ainsi que des archives. Les hypothèses indiennes sont infirmées par ce fait que les espèces végétales nécessaires à la production des laques thitsi ou urushi sont étrangères au sous-continent indien. Aussi, les sources littéraires et documentaires contemporaines, comme le registre de comptes de Pêro Pais de 1512, montrent que la « laque » (alagar) importée de Pégou vers l’Inde était en réalité une cire à cacheter à base de gomme-laque, transportée en sacs, et non la résine visqueuse de la vraie laque, qui exige un transport en jarres scellées. Des analyses scientifiques ont confirmé de manière décisive que le matériau utilisé pour ce groupe d’objets est bien la laque thitsi birmane, issue de la sève du Gluta usitata, et que le bois employé est l’Artocarpus integer (sonekedat), une essence originaire d’Asie du Sud-Est.
La technique du shwei-zawa conforte encore une attribution aux production de Pégou. Ce procédé spécifiquement birman consiste à sculpter en faible relief la surface laquée, avant de souligner les motifs par une application de feuille d’or (shwei-bya), créant un contraste caractéristique entre le fond noir mat et les motifs dorés. On relève en outre plusieurs similitudes entre la composition matérielle des bougeoirs et celle des boîtes à écrire issues du même groupe, notamment l’usage d’un fond noir obtenu par mélange de thitsi et de suie, ainsi que d’un rouge vif à base de cinabre pulvérisé. L’adoption d’une forme européenne telle que celle du bougeoirs, réalisée à l’aide de matériaux et de techniques d’origine est-asiatique, trouve des parallèles dans d’autres productions asiatiques à destination du marché portugais, et au moins une paire de bougeoirs en laque dorée est documentée dans les collections de la duchesse Catherine du Portugal en 1564.
Voir Ferrão, ‘Mobiliário’, in História da Arte em Portugal, Vol. 8, Lisbon, 1990 ; Ferrão, Mobiliário Português. Dos Primórdios ao Maneirismo, vol. 3, Porto, 1990 ; Carvalho, ‘Beyond Goa: ‘Luso-Indian’ art in the Bay of Bengal’, in The World of Lacquer: 2000 years of history, Lisbon, 2001 ; Crespo, Choices, Lisbon, 2016 ; Gschwend, Lowe and al., The Global City. Lisbon in the Renaissance, Lisbon, 2017.