Le Martyre de Sainte Barbe - Bruges, 1530-1550

... colline verte au centre de la tapisserie.?La scène somptueuse de la tapisserie est encadrée d’une bordure ornée de feuillages, de fleurs et de têtes d’éléphants fantastiques en bleu et blanc sur fond rouge. Les coins et le centre des bords présentent des objets d’orfèvrerie. La couleur rouge brique vibrante et les feuilles bleu-vert saisissantes produisent un effet visuel impressionnant, témoignant de l’excellent état de conservation.
Le professeur Guy Delmarcel relie cette tapisserie à une série de textiles produits à Bruges après 1530, caractérisés par leurs scènes naturelles fantastiques peuplées de créatures imaginaires. La plupart présentent des roses et feuilles d’acanthe similaires, ainsi que d’autres végétaux, avec des animaux sauvages semblant prêts à attaquer. Deux pièces presque identiques, conservées à l’Art Institute of Chicago (Bruges, 336 x 599 cm) et au Rijksmuseum d’Amsterdam ("Tournai", 285 x 490 cm), en sont des exemples de premier plan. Leur surface est entièrement couverte de verdure, d’oiseaux et d’animaux fantastiques.
Cette tapisserie illustre le style décoratif riche de l’époque, alliant éléments naturalistes et poétiques avec des animaux exotiques qui stimulent l’imaginaire.?D’autres œuvres de ce type suivent le thème du "Jardin Clos". Dans la partie inférieure, des créatures fantastiques apparaissent parfois, comme dans l’exquise tapisserie de Bruges exposée au Musée des Arts Décoratifs de Paris, ou dans l’exemplaire de la Burrell Collection à Glasgow. La tapisserie parisienne de Bruges représente un animal mythique dans la partie inférieure, vêtu d’un tissu bleu, qui ressemble beaucoup à celui de notre tapisserie.
Si Enghien ou d'autres centres ont pu produire des pièces similaires, plusieurs éléments suggèrent un lien plus fort avec Bruges pour deux raisons formelles :?La palette chromatique générale de notre tapisserie, marquée par des rouges brique prononcés et des feuillages bleu-vert, se rapproche davantage de Bruges que de Tournai ou d’Enghien.
La bordure complexe avec son fond rouge brique chaud, ornée de motifs floraux et d’éléments inspirés de l’orfèvrerie tels que des encensoirs et de petites cloches, peut être retracée à Bruges vers 1530. Ce style, souvent associé à l’imagerie héraldique, souligne le lien de la tapisserie avec le riche patrimoine artistique de la ville. Un exemple comparable est la tapisserie aux Armes de Paolo Giovio, aujourd’hui dans la collection du Prince de Liechtenstein à Vaduz. Cette pièce, sur fond rouge brique, montre des armes et armures, des cornes d’abondance, des enfants chevauchant des dauphins grotesques, ainsi que diverses fleurs et feuillages.
Toute la documentation disponible date ce groupe de tapisseries du deuxième quart du XVIe siècle. Un élément formel clé appuie encore cette datation : le bourreau, représenté prêt à décapiter Barbe, brandit un cimeterre turc, une référence aux incursions ottomanes fréquentes en Europe centrale à partir du siège de Vienne en 1529. L’importance historique de notre œuvre est encore renforcée par l’absence de marque municipale sur la tapisserie, ce qui indique qu’elle a été tissée avant le 2 mai 1547, date à laquelle la guilde en imposa l’usage.
Bruges était alors un centre de tissage prééminent, avec de nombreuses tapisseries documentées dans les inventaires contemporains. Malheureusement, très peu ont survécu, ce qui rend cette œuvre particulièrement rare et précieuse. L’exquise qualité d’exécution des tapisseries de Bruges, visible dans la nôtre, a durablement influencé la production textile européenne, établissant des normes élevées d’innovation artistique.