Par Barozzi Art
SANTE PERANDA (Venise, 1566 – Venise, 1639)
La déesse Éris présente la pomme d’or à Héra, Athéna et Aphrodite
Huile sur toile, 141 × 118 cm
Prov. Collection privée
Le tableau, inédit, représente trois figures féminines assises autour d’une table ovale, facilement identifiables à leurs attributs : Héra au centre (paon), Athéna à droite (casque et lance) et Aphrodite à gauche (petit Cupidon ailé à ses pieds). À côté de la table, debout, une femme apporte une pomme d’or sur un plateau d’argent. À l’arrière-plan, en haut à gauche, une figure masculine de dos, peut-être un serviteur, soulève un rideau rouge, révélant les éléments architecturaux de style classique qui caractérisent le fond. Au premier plan, en bas, un putto assis enlace une grande amphore en argent.
Identification du sujet et de la source littéraire :
Le sujet du tableau est tiré des Cypria (ou Chants chypriens), poème épique grec perdu qui faisait partie du Cycle ...
... troyen et racontait en vers l’histoire entière de la guerre de Troie.
Les événements narrés dans les Cypria se situent chronologiquement au début du Cycle troyen, avant l’Iliade. Ils remontent probablement au VII? siècle av. J.-C. et traitent des épisodes précédant et conduisant à l’enlèvement d’Hélène et au déclenchement de la guerre contre les Troyens.
Les Cypria décrivent ainsi l’épisode d’Éris, déesse de la Discorde, qui, furieuse d’avoir été exclue du banquet nuptial de Pélée et Thétis, décida de se venger. Arrivée sur les lieux du banquet, elle laissa tomber une pomme d’or, selon certains cueillie dans le jardin des Hespérides, déclarant qu’elle était destinée « à la plus belle » des déesses invitées. La querelle qui s’ensuivit entre Héra, Athéna et Aphrodite pour l’attribution du fruit et du titre de la plus belle conduisit au jugement de Pâris. Ce dernier attribua le prix de la beauté à Aphrodite et reçut en récompense Hélène, l’épouse de Ménélas et fille de Zeus et de Némésis. L’enlèvement d’Hélène fut à l’origine de la guerre de Troie.
L’œuvre de Sante Peranda illustre précisément le moment précédent le jugement de Pâris, c’est-à-dire l’arrivée de la déesse Éris avec la pomme d’or au banquet nuptial de Pélée et Thétis et la remise du fruit de la discorde.
À côté de cet épisode, le peintre réalisa un autre tableau représentant le Jugement de Pâris, à considérer comme un pendant, ou mieux, comme la suite de l’histoire (voir ci-après le témoignage de Carlo Ridolfi).
Attribution :
La toile est une œuvre de maturité du peintre vénitien tardif maniériste Sante Peranda (Venise, 1566 – 1639). Des comparaisons stylistiques précises rapprochent le tableau des toiles que Peranda réalisa dans les églises vénitiennes après son séjour en Émilie, de 1608 à 1628, en tant que peintre de cour de la famille Pico della Mirandola. Élève de Paolo Fiammingo, il se rapprocha de l’atelier de Jacopo Negretti dit Palma le Jeune et suivit ses traces, réalisant de nombreuses peintures pour les églises vénitiennes, travaillant également à Rome et à Lorette, avec une « manière si gracieuse, gentille et élégante qu’on peut dire véritablement qu’en délicatesse il surpassait le Maître » (Boschini, 1674).
Les composantes palmesques initiales, comme l’inclination aux constructions diagonales et aux figures en torsion, s’atténuent dans les œuvres plus mûres — exécutées auprès des cours de Mirandola et de Modène, ou après son retour au pays à la suite de son séjour en Émilie — caractérisées par l’usage du « coloris estompé et défait » (S. L’Occaso). Les coups de pinceau rapides, qui estompent les formes en délicates transitions de clair-obscur, la gamme chromatique froide et raffinée, par moments nacrée, sont des caractéristiques typiques de la phase tardive du peintre, lorsqu’il développa « une manière délicate et très achevée » (L. Lanzi).
Les toiles de l’église San Nicolò da Tolentino à Venise (Adoration des Mages et Extase de saint André Avellin) présentent les mêmes caractéristiques que le tableau traité ici : développement vertical de la composition, figures élancées, gestualité contenue et gamme chromatique froide tendant au gris nacré.
Les thèmes profanes et mythologiques ne sont pas rares dans l’œuvre du peintre, qui réalisa pour le palais des Pico le cycle des Histoires de Psyché, non achevé avant 1610, et, dans une période immédiatement postérieure, le cycle des Âges du monde, tous deux conservés au musée du Palais ducal de Mantoue, provenant également du palais des Pico, où il trouvait son achèvement dans la toile de plafond désignée comme Concile des dieux ou Chaos, peinte par Palma, auteur de l’Âge de fer. Les trois toiles de Peranda (Âge d’or, d’argent et de bronze) appartiennent à la période la plus connue et étudiée de sa production.
Des comparaisons stylistiques entre la toile en collection privée (ci-dessus) et l’Immaculée Conception de Sante Peranda de 1612 pour l’église de Mirandola (ci-dessous).
Documentation historique et archivistique :
L’œuvre – avec son pendant représentant le Jugement de Pâris – est mentionnée « parmi les choses privées », exécutées pour le noble vénitien Paolo Nani par le peintre et historien Carlo Ridolfi dans son texte Le maraviglie dell’arte ovvero le vite degli illustri pittori Veneti e dello stato, publié à Venise en 1648 :
« Au seigneur Polo Nani, le déluge universel, la chute de la pomme d’or sur la table des dieux, et la sentence prononcée à ce sujet par Pâris ».
L’auteur connaissait bien la collection Nani, ayant lui-même exécuté des peintures pour Paolo Nani.
L’information est en effet confirmée par les sources archivistiques :
L’inventaire du « Palazzo Nani in Contrà di S. Geremia » du 26 décembre 1697 enregistre : « tableaux compagnons au-dessus des portes, de sculpture et de dimensions, trois sont du Padoanin, trois du Peranda et quatre du Rodolfi, en tout n° 10 ».
L’inventaire de 1765, avec les attributions et estimations du peintre Gaspare Diziani, mentionne encore les toiles, bien qu’avec l’erronée attribution à Andrea Micheli dit Andrea Vicentino : « Le Jugement de Pâris d’Andrea Visentin, d. 10 », « Pâris, Vénus et Junon d’Andrea Vicentin, d. 6 ».
Le commanditaire :
Le commanditaire Polo Nani (Venise, 1611 – 1690), fils de Zorzi, appartenait à une ancienne et noble famille vénitienne, résidant dans le palais de San Trovaso (hérité en 1501 du doge Agostino Barbarigo). Dès les premières décennies du XVI? siècle, les membres de la famille avaient commencé à former une riche collection de peintures.
Recherche et étude par Dr. Laura Testa
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