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Par Emmanuel Redon - Expert CNE

Emmanuel Redon, membre du CNE est spécialisé dans l’orfèvrerie française des XIXe et XXe siècles. Il est l’auteur du livre « Ornements : Orfèvres d'exception au XIXe siécle » paru en 2017.

Orfèvrerie française - ODIOT

Cette aiguière est une œuvre de composition qui emprunte aux plus grands sculpteurs et ornemanistes du XIXe siècle mais aussi à la tradition iconographique de la maison Odiot, pour créer un objet exceptionnel et intemporel.

Orfèvrerie française - Aiguière de ODIOT

UNE ŒUVRE DE COMPOSITION : De Geoffroy-Dechaume à…

Les figures en haut reliefs qui ornent cette aiguière sont typiquement dans le style de celles créées par Adolphe-Victor Geoffroy-Dechaume (1816-1892). 

Geoffroy-Dechaume entre à l’Ecole des Beaux-Arts dans les ateliers des sculpteurs David d’Angers et James Pradier en 1831. Reconnu pour ses travaux sur les grands chantiers de restauration des cathédrales aux côtés de Viollet-le-Duc, il commence sa carrière par l’exécution de modèles destinés à l’orfèvrerie : ses livres de compte révèlent ainsi qu’il collabore surtout entre 1835 et 1860 avec les plus grands orfèvres, à commencer par Charles-Nicolas Odiot (1789-1869) en septembre-octobre 1835 sans que l’on puisse affirmer la nature de la commande (1) mais aussi Froment-Meurice (1802-1855), Charles Wagner ((1799-1841), son successeur Frédéric-Jules Rudolphi (circa 1808-1892), les frères Marrel ainsi que des bronziers. 

Il s’impose rapidement comme le sculpteur le plus novateur (2) de par ses sources d’inspiration mais aussi surtout de par sa maîtrise du modelage du corps humain. Ainsi la figure de femme sur l’anse de l’aiguière rappelle celle de l’anse du vase d’Ondine connue par une gravure (3) exécutée par Wagner puis son successeur Rudolphi pour le duc de Luynes mais aussi celle de la coupe des Vendanges de Froment-Meurice, dont on sait que toutes les deux furent exécutées sur un modèle de Geoffroy-Dechaume et présentées à l’exposition de 1844.

De même les figures ornant le piédouche de cette aiguière rappellent également ces figures féminines que Geoffroy-Dechaume moule sur nature.

Le fond aujourd’hui conservé à la Cité de l’Architecture et du patrimoine avec ses quelques 3000 pièces d’archives, 1400 moulages, 385 photographies, 2000 dessins, croquis et calques, 700 estampes témoigne des techniques de travail de Geoffroy-Dechaume : méthodique et perfectionniste, il réalise de nombreux dessins préparatoires ainsi que ces fameux moulages sur nature qui donnent un rendu très réaliste ; il réutilise aussi souvent ses modèles mélangeant les éléments pour renouveler l’effet. Certains, comme cette anse, ont eu beaucoup de succès et seront utilisée sur plusieurs objets. 

Modèle de l'anse du vase de l'Impératrice daté de 1837
Modèle de l'anse du vase de l'Impératrice daté de 1837, plâtre patiné, Fonds Geoffroy-Dechaume, CAPA( 5)
Moulages sur nature de corps féminins, Fond Geoffroy-Dechaume
Moulages sur nature de corps féminins, Fond Geoffroy-Dechaume, CAPA (6) 

L’étude du fond permet aussi de comprendre les nombreuses collaborations souvent encouragées par ses amitiés, et la contribution de chacune des parties prenantes.  Ainsi Geoffroy-Dechaume fait-il souvent intervenir son ami le dessinateur Louis Steinheil dont on reconnaît ici, sur l’ombilic de l’aiguière, les décors persans que l’on retrouve aussi sur la garniture conservée au Musée des Arts Décoratifs à Paris.

Garniture en bronze doré et argenté, émail, marbre, Adolphe Victor GEOFFROY-DECHAUME
Garniture en bronze doré et argenté, émail, marbre, Adolphe Victor GEOFFROY-DECHAUME (1816-1892), 
sculpteur Auguste-Maximilien DELAFONTAINE (1813-1892), fondeur, Paris, vers 1852 
Dessin de Louis Steinheil, MAD
Orfèvrerie française du 19e siècle

… Jean-Baptiste-Claude Odiot

En revanche les scènes des quatre saisons qui ornent la panse rappellent celles qu’affectionnées Jean-Baptiste-Claude Odiot et qui allaient définir son style. En effet les figures féminines sont à rapprocher de celles du vase « Le triomphe de Bacchus » que l’on pense inspiré par les gravures de Piranèse (tout comme l’avait été l’orfèvre anglais Paul Storr pour ses rafraîchissoirs à bouteille datés 1809-1810  et aujourd’hui conservés au V&A Museum Londres, inv. M-48 B-1982).

Vase pour une fontaine à thé
Vase pour une fontaine à thé, dessin par Moreau, vers 1810, inv 2009.174.12, MAD cat. 131

Quant aux chérubins aux ailes de papillon qui accompagnent ces figures féminines, on peut les voir utiliser sur de nombreuses coupes, aiguières et autres.

Pot à eau par JBC Odiot circa 1819
Pot à eau par JBC Odiot circa 1819 en laiton doré par Christofle, Cat. No181 dans Audrey Gay-Mazuel, 2017

La composition est cependant ici originale même si Gustave Odiot reprend ici cette tradition décorative familiale . Le dessin a toujours eu une place prépondérante dans les ateliers de la maison Odiot. On suspecte Jean-Baptiste-Claude d’en avoir lui-même réalisé certains qui ne sont malheureusement pas signés, mais on lui connaît certainement plusieurs collaborations avec des dessinateurs dont notamment Pierre-Paul Prudh’on (qui ne réalisera qu’un seul projet) mais aussi Jacques-Jean-Alexandre Moreau (1760-1840) et le peintre Auguste Garneray (1785-1824) ou encore Adrien-Louis-Marie Cavelier (1785-1867), ainsi que peut-être Percier et Fontaine. Gustave reprend pour cette aiguière des dessins conservés dans les archives de la maison. 

Dessin aiguière


À L’Exposition Universelle de 1878

Cette aiguière est présentée à l’Exposition de 1878 sur le stand d’Odiot où elle est décrite comme « une forte belle aiguière, représentant les quatre Saisons avec groupe de faunes et de bacchantes » (9).

Henri Bouilhet notait (10) que même si « quelques esprits chagrins prétendent qu’en dépit des artistes qu’elle emploie, des talents et des sculpteurs, Gilbert et Récipon, malgré toute l’habilité de son ciseleur, Diomède, la production de cette maison ne s’inspire que de son passé et redoute les innovations » c’est justement ces vieux modèles que sa clientèle aime et recherche ce qui permet à « la maison Odiot par ses attaches avec le passé et sa fidélité à ses origines, (d‘avoir) au moins le mérite de maintenir de glorieuses traditions » qui lui permettent d’obtenir un rappel de médaille d’or. 

Le jury de l'exposition concluait que « la France tient encore la première place dans cet art industriel, qui a et qui aura toujours les sympathies des gens de goût » (11) et le vaste stand d’Odiot était la preuve que l’héritage familial était bel et bien resté intact. Gustave Odiot n’hésite pas pour cette exposition à présenter divers styles qui ont fait la renommée de la maison au cours des années, surtout il n’hésite pas à puiser dans le patrimoine stylistique de ses ancêtres ou du moins les archives familiales pour créer une pièce extraordinaire et finalement intemporelle car « le grand art est de savoir rendre celui qu’on a choisi avec toute la perfection possible » (12).

 

[1] Illustrées dans ‘De plâtre et d’or’, 1998, p.76 et 77
[2] Illustrée dans ‘De plâtre et d’or’, 1998, p. 74
[3] Illustrées dans ‘De plâtre et d’or’, 1998
[4] Illustrées dans ‘De plâtre et d’or’, 1998, p.76 et 77
[5] Illustrée dans ‘De plâtre et d’or’, 1998, p. 74
[6] Illustrées dans ‘De plâtre et d’or’, 1998
[7] Illustré dans cat. 131 dans Audrey Gay-Mazuel, 2017
[8] Voir dessin P. 148-149 dans Odiot, un atelier d’Orfèvrerie sous le Premier Empire et la Restauration, Audrey Gay-Mazuel, Paris, 2017
[9] p. 11, M.L. Bachelet, 1880
[10] p. 136, H. Bouilhet, 1912
[11] p.2, M.L. Bachelet, 1880
[12] p. 212 dans Rapport de M. Gustave de Savoye, Bruxelles, 1879.

 

BIBLIOGRAPHIE :
Henri Bouilhet, L’Orfèvrerie Française au XVIIIe et XIXe siècles, Tome III, Paris, 1912
Geoffroy-Dechaume : dans l’intimité de l’atelier, exposition 2013
Les archives de Geoffroy-Dechaume : A.N. O4 194
Louis Gonse et Alfred de Lostalot, Exposition universelle de 1889, Les Beaux-Arts et les Arts Décoratifs, l’Art Français Rétrospectif au Trocadéro, Paris, 1889 (texte de Falize)
Audrey Gay-Mazuel, Odiot : un atelier d'orfèvrerie sous l'Empire et la Restauration, Paris, MAD, 2017
Jean-Marie Pinçon et Olivier Gaube du Gers, Odiot Orfèvre, Paris, 1990
Rapport de M. Gustave de Savoye (membre de la commission belge et membre suppléant du jury du groupe II) dans Rapports des membres des jurys, des délégués et des ouvriers sur l’Exposition Universelle de Paris en 1878, Tome III, Bruxelles, 1879, p. 209 à 215
L’industrie : Exposition des produits de l’industrie en 1844, éd. L. Curmer (Paris), 1844, p. 17
Eugène Piot, Le Cabinet de l'amateur et de l'antiquaire, Tome III, 1844
De Plâtre et d'Or : Geoffroy-Dechaume (1816-1892), Sculpteur romantique de Viollet-le-Duc, Val d’Oise, 1998
Exposition universelle internationale de 1878, à Paris. Groupe III, classe 24. Rapport sur l'orfèvrerie, par M. L. Bachelet, Paris, 1880

 

Exceptionnelle aiguière par Gustave Odiot
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