Par Stéphane Renard Fine Art
Ce dessin à l’encre d’une grande modernité, largement inédit et jamais présenté en vente publique, nous plonge au cœur de l’amitié aussi brève que féconde qui a uni pendant quelques années Emile Bernard avec deux artistes majeurs de la fin du XIXème siècle : Paul Gauguin et Vincent van Gogh.
1. Emile Bernard
Emile Bernard est né à Lille en 1868. Son père, négociant en tissus s’était marié l’année précédente avec une jeune veuve Héloïse Bodin qui tenait une blanchisserie avec sa mère. Il entre en 1883 au Collège Sainte-Barbe à Paris et rejoint en 1884, à seize ans, l’atelier de Cormon (1845 – 1924) où il fait la connaissance d’Henry de Toulouse-Lautrec (1864-1901) et de Louis Anquetin (1861 – 1932) et rencontre Vincent van Gogh (1853-1890). Emile Bernard est d’abord attiré par le symbolisme.
Renvoyé de l’atelier de Cormon suite à une dispute avec son maître, il part en Bretagne avec un petit pécule donné par ses parents ...
... en avril 1886, tout juste âgé de 18 ans. La nature sauvage de cette région, les magnifiques calvaires de granit et les costumes pittoresques des habitants sont une révélation pour Bernard. Il rencontre à Concarneau le peintre Schuffenecker (1851 – 1934) qui lui conseille d’aller à Pont-Aven, petite ville qui attirait déjà depuis quelques années les artistes venus de tous les horizons.
Parti pour Pont-Aven afin d’y rencontrer Paul Gauguin (1848 – 1903), Emile Bernard arrive à la pension Gloanec le 15 août 1886 mais Gauguin le reçoit avec indifférence. Emile Bernard peint alors ses premières toiles dans un style impressionniste qui annonce le pointillisme.
De retour à Asnières à l’automne 1886 il retrouve ses amis de l’atelier de Cormon et se lie davantage avec Vincent van Gogh. Il abandonne sa technique impressionniste pour développer avec Louis Anquetil un « synthétisme coloré », caractérisé par un mélange de cloisonnisme (délimitation des motifs par un trait noir, à l’instar d’un vitrail), l’utilisation des aplats de couleur et l’absence de perspective. Il met à l’œuvre cette technique, qui constituera le socle stylistique de « l’école de Pont-Aven », lors d’un nouveau séjour en Bretagne pendant l’été 1887.
Au printemps 1888, Emile Bernard repart pour la Bretagne et arrive à Pont-Aven en août 1888 après un séjour de deux mois à Saint-Briac. C’est alors que grâce aux recommandations de Vincent van Gogh a lieu la véritable rencontre entre Emile Bernard et Paul Gauguin, de vingt ans son aîné. Sous l’influence d’Emile Bernard, Gauguin développe à Pont Aven un nouveau style dans lequel il synthétise l’influence de l’art médiéval, de l’exotisme et des estampes japonaises. C’est également pendant ce séjour à Pont-Aven que Bernard présente à Paul Gauguin Paul Sérusier (1864 -1927), qui a son tour et sous l’influence de Gauguin fondera le groupe des Nabis.
Cette collaboration avec Gauguin à Pont-Aven est de courte durée, même si les deux artistes continueront à échanger par la suite une correspondance importante. Le 23 octobre Gauguin rejoint leur ami Van Gogh à Arles pour un séjour dont la fin sera violente (deux mois plus tard le 23 décembre Van Gogh se tranchera l’oreille après une forte altercation après Gauguin).
Alors que Van Gogh se suicide d’un coup de revolver le 27 juillet 1890, Emile Bernard se brouille définitivement en 1891 avec Gauguin à qui il reproche de s’attribuer tous les mérites des inventions artistiques de leur travail à Pont Aven. Chacun continuera sa vie et ses recherches artistiques de son côté, Gauguin s’embarquant pour la Polynésie dès 1891 alors que Bernard partira en 1893 pour un périple méditerranéen d’une dizaine d’années : Italie, Istanbul, Egypte…
2. Description de l’œuvre
Gauguin est représenté de profil, coiffé d’une casquette caractéristique de sa période de Pont-Aven. Un premier portrait dans le haut, à peine esquissé, est repris et développé dans le centre de la feuille. En dessous apparaît comme en surimpression le visage et les ailes d’un ange, extrêmement juvénile, dont l’interprétation est malaisée.
Emile Bernard était un catholique fervent et développera dès 1889 une œuvre d’inspiration religieuse importante. On peut par exemple retrouver un ange aux ailes déployées dans Le Christ au jardin des oliviers avec ses disciples de 1889 (aujourd’hui à l’Indianapolis Museum of Art). Paul Gauguin se représentera d’ailleurs également en Christ au jardin des oliviers en 1889. La religiosité de Bernard aura une influence sur d’autres tableaux de Gauguin, comme La vision après le sermon, Le Christ vert ou encore le Christ jaune (1889), directement inspiré du Christ jaune de Bernard peint trois ans auparavant.
Mais la présence de cet ange sous le portrait de Gauguin pourrait également s’interpréter comme une représentation symbolique et prémonitoire de la relation entre Bernard et Gauguin : en dessous d’un Gauguin dominateur- celui-ci n’aura de cesse de s’approprier la paternité des découvertes de Pont-Aven – l’influence novatrice d’Emile Bernard (âgé alors de tout juste vingt ans) serait symbolisé par la figure juvénile de l’Ange – l’Ange étant souvent dans la bible celui qui annonce, qui fait comprendre le message divin -.
Emile Bernard s’était lié avec Van Gogh à partir de 1885 et nous avons vu que c’était grâce à lui que Bernard s’était rapproché de Gauguin en 1888. Van Gogh demande à ses deux amis Bernard et Gauguin d’exécuter chacun un portrait de l’autre pendant leur séjour à Pont-Aven. Bernard aurait refusé se sentant intimidé par Gauguin et chaque artiste envoie finalement à Van Gogh en octobre 1888 son propre portrait, portraits dans lesquels figure à chaque fois une représentation de l’autre.
On peut s’interroger sur la place de notre dessin dans la préparation du portrait de Gauguin inséré dans l’autoportrait de Bernard : on retrouve en effet très clairement le même béret, même si le portrait est de profil, et non de trois quart comme dans la peinture.
L’inscription au dos de ce dessin et sa provenance familiale nous permette d’identifier avec certitude ce dessin comme un portrait de Gauguin exécuté à Pont-Aven pendant ce séjour fondateur de 1888. Ce dessin est un témoignage rare de l’amitié fertile entre Gauguin et Bernard à Pont-Aven, mais également un rappel de leur étroite connivence avec Vincent van Gogh.
Principale référence bibliographique :
Jean-Jacques Lutti & Armand Israël – Emile Bernard Sa Vie, Son Œuvre Catalogue Raisonné Paris 2014
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