Par Franck Baptiste Provence
Rare et beau cabinet en placage d’ébène ouvrant par deux vantaux et deux tiroirs en partie haute.
Les bas-reliefs de la façade représentent deux scènes issues de la Genèse.
Elles sont ceintes par un encadrement circulaire sculpté de tores de chêne et de baguettes guillochées à décor géométrique formant des coeurs en écoinçons.
Les scènes représentent, à gauche, « la sacrifice d’Isaac » avec Abraham s’apprêtant à tuer son fils, et à droite, « la lutte de Jacob avec l’ange » ce dernier retenant Jacob, qui vient tout juste de rentrer à Canaan.
Ces deux sculptures sont issues des gravures de Bernard Salomon (1506-1561), publiées dans « Les quadrins historiques de la Bible » de Claude Paradin, édités par Jean De Tournes à Lyon en 1555.
Les deux vantaux découvrent un intérieur à neuf tiroirs, quatre par cotés, plus un dissimulé dans les chapiteaux des deux colonnes.
La partie centrale en forme de tabernacle, encadrée de deux colonnes ...
... salomoniques torsadées est ornée d’une terrasse ou se dresse une vierge à l’enfant en bronze doré.
Elle ouvre par un vantail dévoilant un théâtre intérieur simulant une allée de chateau bordée d’arbres par un ingénieux système en trompe l’oeil.
Constitué de cuivres peints à l’huile et de miroirs positionnés en hémicycle, notre théâtre donne l’illusion d’une perspective beaucoup plus longue, dont l’effet est encore amplifié par un sol à damier multicolore.
De chaque coté prennent place deux rangés de cinq petits tiroirs, plus deux au milieu qui dissimulent un compartiment secret accessible par un simple tirage de la traverse de séparation. (voir photo)
Le revers de la porte arbore une vive marqueterie polychrome d’ivoire, ébène, amarante et bois fruitier sur fond de palissandre à décor d’une rosace encadrée de motifs géométriques entrelacés.
La serrure en laiton finement gravée d’un bouquet de tulipes.
Le piètement est constitué d’une ceinture ouvrant par deux tiroirs en façade, séparés par des demi-chapiteaux à enroulements d’acanthes.
A la manière d’un temple grec, la ceinture repose sur deux exceptionnelles cariatides en bois noirci, représentant des puttis agenouillés l’un sur l’autre et foulant une tête d’ours, symbole de la force.
Le panneau du fond sculpté d’une scène d’arrestation ; probablement l’arrestation du christ, avec des soldats armés de lances; la scène encadrée de moulures géométriques et finement gravée de guirlandes de fruits, puttis, angelots souffleurs…
Les deux cotés latéraux du panneau sculpté à décor de réserves géométriques délimitées par des moulures guillochées.
Placage d’ébène, bois fruitier noirci, âme en sapin, fond en chêne massif.
Trés bel état de conservation, (fentes, petites restaurations d’usage)
La partie haute du cabinet entièrement d’origine, son piètement en partie d’époque 17ème (cariatides et panneau sculpté) avec des restaurations 19 ème (ceinture, réserves latérales encadrant le panneau central du fond et tablette d’entretoise)
Travail Parisien d’époque Louis XIII vers 1640.
Dimensions :
Hauteur : 164 cm ; Largeur : 112 cm ; Profondeur : 50 cm
Provenance : Château de Puisaye
Cabinets parisiens en ébène conservés dans les musées:
-Château de Fontainebleau,
-Chateau de Serrant
-Musée de la renaissance Écouen
-Metropolitan muséum New York
-Musée Légion d’honneur de San Francisco
-Château de Windsor, Angleterre
-Rijkmuséum Amsterdam
-Musée de l’ Ermitage, Saint-Pétersbourg (Russie)
Bibliographie :
Un temps d'exubérance, les arts décoratifs sous Louis XIII et Anne d'Autriche, Paris, Editions de la Réunion des musées nationaux, 2002, pp. 236-237.
Alcouffe Daniel, Dion-Tenenbaum Anne, Lefébure Amaury, Le mobilier du musée du Louvre, t. 1, Dijon, Editions Faton, 1993, pp. 52-59.
Valérie Charpentier, pSecret d’ébène, Le cabinet de l’Odyssée du château de Fontainebleau, Edition Faton
Notre avis :
Avant le 17ème siècle, le mobilier était fabriqué uniquement en bois indigènes massifs par des « huchiers », l’apparition de ces cabinets plaqués d’ébène entraina la recherche d’une appellation nouvelle pour ces artisans souvent venus d’Hollande et c’est ainsi que naquit le terme « ébéniste ».
Ces grands cabinets en ébène ont une place trés importante dans les arts décoratifs français car ils signent la naissance de l’ébénisterie parisienne.
Si dans un premier temps les historiens de l’art ont attribué ce petit corpus d’une dizaine de cabinets à Jean Macé, ébéniste du roi Louis XIII logé au Louvre, ils s’accordent aujourd’hui pour donner la parenté de bons nombres de ces pièces à Adriaan Garbrand et son gendre Pierre Gole (1620-1684), tout deux d’origine hollandaise et établis au faubourg Saint-Germain.
En effet les revers des portes de la niche du cabinet conservé au château de Serrant arborent la même marqueterie polychrome que l’on peut observer sur les premiers meubles de Pierre Gole.
Il est donc clair que ce dernier qui portait par ailleurs le titre de « maître menuisier en ébène du roi » faisait parti des auteurs de ces cabinets d’ébène, et trés probablement du notre.
En effet on retrouve sur notre exemplaire ces marqueteries trés contrastées avec des incrustations d’ivoire qui ont fait la réputation de Gole.
Elles sont d’ailleurs strictement identiques, avec les mêmes rosaces et les mêmes réserves géométriques que celles présentes au revers des portes du cabinet de l’odyssée conservé a Fontainebleau.
D’autres similitudes, comme les serrures en laiton gravé ou les réserves géométriques ondées de la façade nous prouvent que les deux cabinets sortent du même atelier.
Destiné à une élite et aux plus gros châteaux, ces cabinets nécessitaient la collaboration de sculpteurs, graveurs, d’orfèvres, de peintres et de bronziers.
Contrairement à de nombreux cabinets dont les piétements ne nous sont pas parvenus, notre modèle a su conservé les parties décoratives les plus importantes de son piétement d’origine.
Si quelques piètements arborant des cariatides avec des personnages en bustes sont référencés, seulement deux sont constitués de personnages en pied, le notre et celui du musée de l’Ermitage, qui présente quatre personnages en contrapposto en bois noirci.
Nos puttis, inspirés des productions de François Duquesnoy (1597-1643) sont de trés grandes qualités, que ce soit par le modelé de leurs corps potelés ou par la nature de leurs expressions, ils forment à eux seul de véritables chefs d’oeuvre de la sculpture française du 17 ème siècle.
Outre son extraordinaire piètement et la finesse de la gravure de ses scènes, notre cabinet est de dimensions légèrement inférieures aux autres modèles, ce qui le rend plus facilement intégrable dans les intérieurs contemporains.
Indémodable par la sobriété de sa monochromie, cette pièce iconique du mobilier Louis XIII et plus largement de l’ébénisterie française sera autant illuminer la grande salle d’un chateau moyenâgeux en pierre, qu'un intérieur ultra-moderne .
Retrouver le mobilier ou les objets d''art similaires à « Cabinet en ébène aux scènes de la genèse, Paris vers 1640 » présenté par Franck Baptiste Provence, antiquaire à L'isle-sur-La-Sorgue dans la catégorie Cabinet & Coffre Louis XIII, Mobilier.